Source : Jurisprudence Sociale Lamy
Une cour d’appel ne peut rejeter une demande de paiement d’heures supplémentaires alors que le salarié présentait des éléments suffisamment précis pour permettre à l’employeur de répondre, et que ce dernier ne produisait aucun élément de contrôle de la durée du travail ; la charge de la preuve ne pèse en effet pas sur le seul salarié.
Un technico‑commercial voit sa demande de rappel d’heures supplémentaires impayées rejetée. Pour les juges du fond, les éléments communiqués par le salarié ne suffisaient pas à étayer sa réclamation, étant notamment insuffisamment précis en ce qu’ils ne précisaient pas la prise éventuelle d’une pause méridienne. Ils relèvent également que l’employeur objecte, à juste titre selon eux, que le salarié, qui travaillait de manière itinérante à 600 kilomètres de son siège social, ne précisait pas ses horaires de travail sur ses comptes‑rendus hebdomadaires et que ses fiches de frais ne permettaient pas de déterminer les horaires réellement effectués au cours de ses tournées.
Le salarié réplique qu’il produisait pourtant un décompte de ses heures de travail en mentionnant, jour après jour, les heures de prise et de fin de service, ainsi ses rendez‑vous professionnels avec la mention du magasin visité, le nombre d’heures quotidien et le total hebdomadaire. Il ajoute que « la société admettait elle‑même ignorer le nombre d’heures accomplies par le salarié et ne pas les contrôler » : elle ne fournissait donc aucun élément en réponse à ceux qu’il avait fourni. Il reproche par conséquent à la cour d’appel chargée du litige d’avoir fait peser la charge de la preuve sur le seul salarié, en violation de l’article L. 3171‑4 du Code du travail.
Les Hauts Magistrats ont validé le raisonnement du salarié. À cet effet, ils ont rappelé les règles en la matière, à savoir qu’il découle des articles L. 3171‑2, L. 3171‑3 et L. 3171‑4 du Code du travail qu’en cas de litige relatif à l’existence ou au nombre d’heures de travail réalisées, il appartient au salarié de présenter, à l’appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu’il prétend avoir accomplies afin de permettre à l’employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d’y répondre utilement en produisant ses propres éléments.
Le juge forme ensuite sa conviction en tenant compte de l’ensemble de ces éléments. Après analyse des pièces produites par l’une et l’autre des parties, dans l’hypothèse où il retient l’existence d’heures supplémentaires, il évalue souverainement, sans être tenu de préciser le détail de son calcul, l’importance de celles‑ci et fixe les créances salariales s’y rapportant.
La Chambre sociale en a conclu que « en statuant ainsi, alors qu’il résultait de ses constatations, d’une part, que le salarié présentait des éléments suffisamment précis pour permettre à l’employeur de répondre, d’autre part, que ce dernier ne produisait aucun élément de contrôle de la durée du travail, la cour d’appel, qui a fait peser la charge de la preuve sur le seul salarié, a violé [l’article L. 3171‑4 du Code du travail] ».
Il faut rappeler que, par un arrêt de principe du 18 mars 2020 (Cass. soc., 18 mars 2020, n° 18‑10.919, JSL, 8 juin 2020, n° 499‑4) la Cour de cassation a abandonné la formulation selon laquelle le salarié qui revendiquait le paiement d’heures supplémentaires devait « étayer sa demande », pour lui substituer la notion de « présenter des éléments à l’appui de sa demande ». La note explicative de la Haute Cour à cet arrêt souligne que ces éléments doivent être suffisamment précis pour que l’employeur puisse donner ses explications et ses éléments, cette note mettant l’accent en parallèle sur les obligations pesant sur ce dernier quant au contrôle des heures de travail effectuées.