La récente étude de la DARES (juillet 2024) sur l’aménagement du temps de travail dans le secteur privé français révèle des disparités significatives entre les PME et les grandes entreprises. Cette analyse approfondie met en lumière les pratiques actuelles et leurs implications pour l’avenir du travail.
Réduction du Temps de Travail (RTT) : un fossé entre grands groupes et PME
Les grandes entreprises sont nettement en avance dans l’adoption des RTT :
- 90,1% des entreprises de 500 salariés ou plus offrent des jours de RTT
- Ce chiffre tombe à 33,9% pour les entreprises de 10 à 49 salariés
- La moyenne globale s’établit à 40,1% pour l’ensemble des entreprises
Cette disparité s’explique par plusieurs facteurs :
- Capacité financière : Les grandes entreprises peuvent plus facilement absorber les coûts liés à la réorganisation du temps de travail.
- Négociations collectives : Les accords d’entreprise sont plus développés dans les grands groupes, facilitant la mise en place des RTT.
- Composition de la main-d’œuvre : La proportion plus élevée de cadres (qui ne sont pas nécessairement au forfait jours) dans les grandes entreprises influence l’adoption des RTT, ces derniers bénéficiant généralement de plus de jours.
Les PME privilégient souvent les heures supplémentaires rémunérées pour gérer les pics d’activité, adoptant une approche plus flexible mais potentiellement moins attractive pour les salariés sur le long terme.
Compte Épargne-Temps (CET) : l’apanage des grandes structures
Le contraste est encore plus marqué pour le CET :
- 57,1% des entreprises de plus de 500 salariés le proposent
- Seulement 5,3% des entreprises de 10 à 49 salariés l’offrent
- La moyenne nationale est de 8,6%
La sophistication des politiques RH dans les grands groupes souligne cette différence, intégrant des outils de fidélisation à long terme et leur capacité à gérer des systèmes de compensation complexes. A l’inverse le CET reste un défi administratif pour les PME aux ressources limitées.
Les secteurs des activités financières et d’assurance (26,1%) et de la fabrication de matériels de transport (24,5%) sont les plus avancés dans l’adoption du CET, reflétant une corrélation avec la proportion de cadres mais probablement aussi le poids des instances représentatives du personnel.
Semaine de travail réduite : une pratique encore marginale, avec une tendance inverse
Contrairement aux autres dispositifs, la semaine de travail inférieure à 5 jours est plus répandue dans les petites structures :
- 3,7% des entreprises de moins de 50 salariés la pratiquent
- Seulement 1,9% des entreprises de 500 salariés ou plus l’ont adoptée
- La moyenne nationale s’établit à 3,4%
Un paradoxe qui démontre que les PME sont naturellement plus flexibles pour expérimenter de nouveaux modèles de travail. Les grandes entreprises, de leur côté, font face à des défis plus importants pour réorganiser le travail à grande échelle, impliquant des coûts plus élevés. Et l’on peut arguer que le présentéisme, plus ancré dans les grandes structures, est un frein à cette évolution.
Analyse sectorielle et implications
L’étude de la DARES révèle des disparités significatives entre les secteurs économiques, allant au-delà de la simple semaine de 5 jours. Il est important de rappeler que légalement, seul un jour de repos hebdomadaire est obligatoire, même si le « weekend » de deux jours est largement répandu.
Semaine réduite et allongée :
Le secteur de l’enseignement, de la santé humaine et de l’action sociale se distingue par l’adoption la plus importante des semaines de moins de cinq jours. Une tendance qui pourrait s’expliquer en partie par la pratique courante de journées de 10 heures ou plus dans le secteur hospitalier et médico-social, réduisant naturellement le nombre de jours travaillés.
Paradoxe de l’industrie alimentaire :
De manière surprenante, le secteur de la fabrication de denrées alimentaires, de boissons et de produits à base de tabac se révèle être le plus innovant en matière d’aménagement du temps de travail. Il affiche à la fois le plus fort recours à la semaine de 6 jours, et l’adoption la plus prononcée de la semaine de moins de 5 jours derrière l’enseignement, la santé humaine et l’action sociale. Ce secteur est également l’un des plus enclins à pratiquer des semaines variables, démontrant une grande flexibilité à mettre en perspective de l’une des plus faible proportion de cadres dans ses effectifs.
Le cas particulier du secteur de l’information et de la communication :
À l’opposé, le secteur de l’information et de la communication se montre particulièrement conservateur dans ses pratiques d’aménagement du temps de travail. Il affiche des taux proches de zéro pour les semaines autres que 5 jours et se classe en bas de l’échelle pour les semaines variables. Cette rigidité peut s’expliquer par la forte proportion de cadres dans ce secteur. Cependant, il se rattrape en étant leader dans l’adoption des RTT dans le secteur tertiaire, et juste derrière la fabrication de matériel de transport au classement général. Néanmoins, il reste encore timide dans l’adoption du Compte Épargne-Temps (CET).
Ces disparités sectorielles soulignent la complexité de l’aménagement du temps de travail en France, où les pratiques varient considérablement en fonction des spécificités de chaque industrie, de la composition de la main-d’œuvre et des contraintes opérationnelles propres à chaque secteur.
Ces résultats soulignent aussi l’utilisation de ces dispositifs comme leviers d’attractivité et de rétention des talents dans des secteurs compétitifs, mais également la corrélation entre la nature du travail (plus autonome, basé sur des projets) et la flexibilité du temps de travail. Enfin la tendance croissante de la recherche d’équilibre vie professionnelle-vie personnelle dans les secteurs à haute qualification est un accélérateur.
Bien que les grandes entreprises semblent plus avancées dans l’adoption de certains dispositifs d’aménagement du temps de travail (RTT, CET), des marges de progression subsistent, notamment concernant la semaine de travail réduite. Les PME, avec pour atout leur souplesse, montrent une certaine agilité dans l’adoption de nouveaux modèles de travail.
Dans un contexte de transformation du monde du travail, accéléré par la crise sanitaire et les nouvelles attentes des salariés, les entreprises de toutes tailles devront repenser leurs approches. Les grandes entreprises devront assouplir davantage leurs organisation pour faciliter l’adoption de modèles de travail innovants, tout en capitalisant sur les dispositifs attractifs en place (RTT, CET). Les PME peuvent s’inspirer de leur agilité dans l’adoption de la semaine réduite pour développer d’autres formes d’aménagement du temps de travail et rivaliser avec les grandes entreprises.
L’avenir de l’aménagement du temps de travail en France dépendra de la capacité des entreprises, grandes et petites, à s’adapter aux nouvelles réalités du travail, en trouvant un équilibre entre les besoins organisationnels et les aspirations des salariés pour plus de flexibilité et d’équilibre de vie.
Source : Dares Focus n°47 – Comment les entreprises du secteur privé aménagent-elles le temps de travail ?